Giuseppe Santoliquido et Fabrizio Rongione vous êtes les coauteurs de "Porca strada ! Une histoire italienne". Comment est né ce projet ?
Giuseppe Santoliquido : Quand Fabrizio a joué Le bon Docteur Gasparri en 2022, nous nous sommes rendu compte que par le plus grand des hasards nos familles étaient originaires de la même région en Italie.
Fabrizio Rongione : Au départ, je voulais réaliser un film sur cette histoire de route qui m’est arrivée, mais après en avoir discuté ensemble, l’idée du spectacle est née.
Giuseppe : On est de la même génération, et ce qui était amusant, c’est que même si on ne se connaissait pas à l’époque, on a exactement les mêmes souvenirs, la même galerie de personnages dans la tête. Tous les personnages que Fabrizio interprète sont des archétypes. Il y a les mêmes dans tous les villages. On est partis de clichés pour en faire de vraies personnes.
Fabrizio : On s’est vus, on a brainstormé, on s’est raconté nos histoires, et puis on s’est réparti les rôles. L’écrivain a bien sûr écrit le premier jet et puis on a travaillé tous ensemble avec Gabriel, le metteur en scène pour convenir de la structure, camper les personnages… Bref, tout ce qu’il fallait pour que ça devienne un spectacle.

Donc, vous êtes tous les deux Italiens ?
Giuseppe : On est belgo-italiens. Belgo-italien, ce ne sont pas deux nationalités, c’est presque une nationalité à part entière.
Fabrizio : Exactement. On est nés en Belgique de parents italiens. On est tout à fait belges, mais avec un attachement à l’Italie resté très fort qu’on nous a inculqué depuis qu’on est enfant puisque nous y allions tous les ans. On a en quelque sorte deux pays.
Giuseppe : Un pays pour l’année et un pays d’été. Je me souviens que dès que l’école était finie, ma mère me mettait dans le train à Namur et ma grand-mère m’attendait 15 heures plus tard sur le quai à Rome. A l’époque, il y avait encore des directs d’une ville à l’autre. Il faut aussi préciser que nous ne nous sentions jamais en conflit avec notre pays hôte, au contraire, on était reconnaissants à la Belgique d’avoir accueilli nos familles et de nous avoir permis d’avoir une vie plus confortable. Ça reste pour moi une cohabitation tout à fait heureuse.
Fabrizio : D’autant plus que nous avons, l’un comme l’autre, une compagne qui n’est pas d’origine italienne et que nos enfants sont nés ici.
Giuseppe : D’ailleurs, Fabrizio a trahi la cause, il n’a pas donné un prénom italien à sa fille. Moi, je suis arrivé à faire triompher mon patriarcat, j’ai pu imposer des prénoms italiens (rires).
Fabrizio : Eh oui, moi, j’ai donné dans le compromis à la belge. J’ai trouvé un prénom passe-partout. Qui s’adapte à plusieurs cultures. Finalement, je suis plus belge que lui (rires).

Alors, Luca, c’est toi ou c’est toi ?
Giuseppe : Pour l’histoire de la route, Luca c’est Fabrizio, c’est à leur maison que l’histoire est arrivée. Pour le reste, c’est plus nuancé.
Fabrizio : Il a raison, pour la trame, c’est moi, pour le reste, il y a beaucoup de nous deux.
Giuseppe et Fabrizio : Luca, c’est nous, quoi.

S’il n’y avait qu’une chose, une seule pour représenter votre Italie, quelle serait-elle ?
Fabrizio : Bonne question ! J’ai presque envie de répondre la nourriture.
Giuseppe : La nourriture caractérise chaque pays, ce n’est pas propre à l’Italie.
Fabrizio : Sérieusement, je pense que sans la nourriture italienne, on serait beaucoup moins attachés à nos racines.
Giuseppe : : Voilà contre quoi j’ai dû lutter. Que de clichés ! Moi, je dirais que c’est l’esthétique. Aucun pays n’a le sens du beau comme l’Italie. Où qu’on aille, il y a du beau, chaque trou perdu, recèle des trésors.
Fabrizio : C’est vrai, mais la nourriture est belle, en Italie…
Giuseppe : Dans chaque village, le beau te rattrape. Même un figuier dans la campagne est esthétique.
Fabrizio : Hé oui, c’est pour ça que nos plats sont beaux. Mais plus sérieusement, même si la nourriture c’est très sérieux, je dirais que chaque italien est composé de deux faces de la même médaille. On est toujours dans le contraste. Nos rapports aussi sont contrastés. On peut dans la même phrase dire du positif et son contraire. C’est un pays compliqué, contrasté à tellement de niveaux. C’est pour ça que tout le monde s’en va, mais qu’on y reste terriblement attachés.

Quel est votre souvenir le plus prégnant, celui qui vous a fait vous sentir italien ?
Giuseppe : Dans mon cas, le sens de l’appartenance n’est pas tant dirigé vers le pays, mais vers le village. Au fond, l’Italie est un concept très vague. Même politiquement, il n’y a pas d’appartenance générale. On se sent de sa région avant d’être italien. On a un attachement viscéral à la terre, celle où sont enterrés nos ancêtres, celle où vivent nos grands-parents. Là où pousse notre raisin, où on tue le cochon. Je ne pourrais pas ne pas retourner au village. Gamin, j’attendais que l’école se termine pour qu’on me mette dans le train. Mon Italie, c’est la présence de nos vieux. D’ailleurs, je n’ai pas été élevé en italien, mais en patois, le patois de mon village, celui qu’on ne comprend déjà plus quelques kilomètres plus loin.
Fabrizio : : Je ne suis pas un écrivain comme lui, donc, pour faire plus simple et pour résumer : c’est pareil pour moi. Ce qui m’y rattache, c’est l’enfance et l’été. C’est ma deuxième maison. J’y ai passé tous mes étés. L’Italie pour moi c’est le pays de l’été avec tout ce que ça comporte : le soleil, le ciel bleu, les fruits, la montagne, les odeurs.
Giuseppe : On a d’ailleurs essayé de mettre toutes ces sensations dans le spectacle. Comme un silence rempli de bruits.
Fabrizio : Les deux seules fois où j’ai passé le mois d’août en Belgique, c’est quand ma fille est née et cette année, pour préparer ce spectacle.
Giuseppe : : Ici, tu étais quand même un peu en Italie.
Fabrizio : L’été en Italie, je me détends. Ici ce n’est pas tout à fait le cas.

Pour faire plaisir à Fabrizio qui aime tant ça, une dernière question pour la route : quel est votre plat emblématique ?
Giuseppe : Pour moi, c’est les pasta e fagioli, un vrai plat de terroir, avec les pâtes cuites al dente, les haricots bien fondants et un petit morceau de joue de cochon, et tant pis pour les spécistes qui disent qu’il n’en faut pas, mais pour être honnête, le problème de ce plat, c’est qu’il est une source de tension dans la famille. Toutes les femmes de mon entourage ont essayé de le préparer, mais personne, vraiment personne, n’arrive à me faire retrouver le goût de celui de ma grand-mère.
Fabrizio : Et bien moi, c’est tout simple, ce sont les gnocchis à la sauce tomate. Mais des gnocchis fait à la main, par ma mère ou ma grand-mère tournés à la fourchette, et de la sauce cuisinée avec des vraies tomates bien mûres, des herbes fraîches et mijotée le temps qu’il faut. n

Propos recueillis par Deborah Danblon.

A VOIR :
Porca Strada ! Une histoire italienne du 03.09 au 19.10.24