Pour vous, si vous deviez présenter la pièce en quelques phrases : Together c’est l’histoire de ? 
Stéphanie Blanchoud : C’est l’histoire d’un couple qui revisite son histoire pour la comprendre. C’est l’histoire d’une tentative. C’est l’histoire d’un couple qui nous fait part avec la « légèreté » 
d’aujourd’hui de leur « traversée » sous confinement, avec cynisme, humour corrosif, réalisme, cruauté, douleur parfois mais non sans amour. Et c’est aussi l’histoire d’une invitation, au public, tour à tour témoin et complice d’une histoire d’amour qui de près ou de loin leur ressemble peut-être un peu… 
Serge Demoulin : Pour moi, c’est l’histoire d’une famille désaccordée qui va tenter, sans le savoir de retrouver l’harmonie.

Pour cause de pandémie, à quelques sorties obligatoires près, Together est un huis clos. A votre avis, sans cette situation, leur couple aurait-il évolué de la même façon ?
Serge : On ne l’a peut-être pas mesuré quand on y était, mais la pandémie du COVID 19, c’est l’histoire d’un énorme huis clos. Un énorme huis clos obligatoire, sur lequel nous n’avons eu aucune maîtrise et un confinement que nous avons tous dû subir plus ou moins bien. Dans Together, ils sont bien conscients l’un et l’autre qu’enfermés ensemble, ils n’ont plus le choix, ils vont devoir mettre des mots sur leur situation. Dans leur cas, il peut s’agir d’un huis clos vital et salvateur.
Stéphanie : C’est exactement ça, dans leur cas, il va s’agir d’un huis clos salvateur. Ils ont été l’un comme l’autre tellement loin dans le désespoir qu’il leur fallait quelque chose d’extrême pour pouvoir réagir. Dans certaines situations, la seule façon de retrouver la lumière est de tomber tout en bas.
Serge : Sans le huis clos ils auraient peut-être pu se défiler, ne pas affronter la situation et se construire dans cette fausse normalité insupportable. Le huis clos les met l’un en face de l’autre mais aussi en face d’eux-mêmes. 

Concrètement, qu’est-ce qui est le plus dur dans cet enfermement ?
Serge : L’autre. L’autre qui te déplace. Quand on ne peut plus l’éviter, on se met différemment face à l’autre que face à soi.
Stéphanie : Dans cette proximité imposée, ils sont obligés pendant des semaines de tenir compte de l’autre, alors que dans leur vie d’avant, ils pouvaient s’éviter. La promiscuité réveille de facto les blessures et les questionnements. En même temps, affronter tout ça peut faire avancer. La fin de l’histoire ne serait pas la même sans cette épreuve. Elle est belle, la fin.
Serge : Face à face, ils n’ont eu d’autre choix que de se débarrasser de leurs illusions. Ils ont quitté l’idéalisme sur lequel les couples se bâtissent souvent pour entrer dans la réalité.
Stéphanie : Après tout, quoi qu’il se passe dans leurs affrontements, quoi qu’ils se disent comme horreurs, ils restent ensemble. Aucun des deux ne décide de partir.

Qu’est-ce qui les fait tenir, alors ?
Serge : Avant, on ne se séparait pas à cause des enfants. Ici, l’enfant est un point crucial, il est arrivé dans un moment particulier de leur relation. Pourtant, c’est aussi grâce à l’enfant qu’ils font le chemin. Cet enfant est leur socle, il les arrime. Ils ne font pas les choses pour lui, pourtant, ils trouvent des priorités par rapport à eux-mêmes et à l’autre grâce à son existence. Avant la confrontation, ils pouvaient se penser anges, après, ils n’ont plus pu se découvrir démons. Ils n’ont plus qu’à accepter leur part d’ombre.
Stéphanie : Je pense que ce qui les fait tenir c’est d’avoir mis des mots sur les choses, les actes, manqués ou non. Le lien à leur fils aussi bien sûr. Mais c’est surtout la parole qui leur permet au jour d’aujourd’hui d’être côte à côte, dans un rapport moins « illusoire » et donc plus franc. 

Comment entre-t-on dans les personnages, comment faites-vous pour faire la part entre eux et vous ?
Stéphanie : Pour ma part, je pense que ça aurait été difficile pour moi d’incarner cette femme il y a dix ans. Après, mon chemin de travail - et c’est toujours le même - c’est d’incarner une personne et pas un personnage. J’aborde chaque projet de la même manière. Je la découvre « cette » femme que je vais incarner, au fil des répétitions, et je la laisse venir à moi. Je trouve sa respiration, sa façon de bouger, ses endroits de vibration… Avec la langue très incarnée et très précise de Dennis Kelly, je trouve ma « route », la bonne vitesse balisée par le rythme de son écriture. Je trouve peu à peu la rythmique comme dans une partition. 
Et guidée par Daphné et la sensibilité et la finesse de sa direction d’actrice, j’avance pas à pas, pour pouvoir peu à peu donner « corps » à ces mots… 
Avec Dennis Kelly, tout est parfaitement juste. Je n’ai jamais la sensation de devoir combattre un trop-plein comme avec certains auteurs parfois. Son écriture est à l’os. Et on se fait nous-mêmes chopper par les ruptures. Il y a tellement de contrastes et aussi une immense humanité. L’intelligence de ce texte c’est qu’il ne nous permet pas de prendre parti pour l’un ou pour l’autre. Jamais. 
Serge : C’est Stéphanie qui a trouvé la pièce. Nous n’avions jamais travaillé ensemble, j’ai donc abordé cela comme un terrain de jeu.
Stéphanie : On avait envie de jouer ensemble et Together nous a offert cette opportunité.
Serge : Cette aventure est un vrai travail de partenariat où il est essentiel d’associer Daphné, les ados qui nous accompagnent et les autres membres de l’équipe de création. Cette complicité et cette confiance nous ont permis d’évoluer dans le grand terrain de liberté dont nous avions besoin. On a pu s’y plonger un peu comme au tennis. La complicité me permet de jouer avec l’énergie des autres. On convoque ce qu’ils et elles nous donnent pour que ce soit jouissif et déstabilisant à travailler. Cela me fait sortir de ma zone de confort. C’est un grand plaisir et de belles découvertes. C’est avec Stéphanie Blanchoud que je joue, pas avec Elle. Sans compter le rapport au public qui est essentiel. On joue pour et pas pour nous. Je suis d’ailleurs très curieux de voir comment les spectateurs vont recevoir Together.

Que dire justement pour convaincre le public de venir assister à Together  ?
Stéphanie : D’abord, c’est une des premières pièces qui parle de confinement et de covid et même si c’est une période qu’on préférerait oublier, il est important de réfléchir à tous les types d’impacts qu’elle a pu avoir.
Serge : Exactement, c’est un sujet impactant et grave. Mais avec une approche artistique qui nous permet de l’aborder. Elle nous donne, entre autres, à réfléchir à comment prendre en charge les problématiques de salubrité, celles de l’ordre, du soin. Et tout ça existe en trame grâce à la véracité de la situation.
Les spectateurs vont-ils le recevoir comme ça ou plonger dans leurs souvenirs ?
C’est aussi une approche artistique avec une aspiration positive, une aspiration à finir nu les yeux dans les yeux. Un encouragement à appréhender la vie autrement.
Stéphanie : Et au-delà du covid, Together est avant tout un prétexte à ne pas renoncer, à ne pas baisser les bras. Cette pièce est, envers et contre tout, une tentative d’espoir, de lumière. Une invitation comme je l’ai dit précédemment, une invitation à avancer sans masque. 

Propos recueillis par Deborah Danblon.
Photo © Gaël Maleux

A VOIR :
Together jusqu’au 22.02.25