Marie-Hélène 

Qu’est-ce qui te touche, toi, Marie-Hélène, dans le personnage de Shirley ?
Les yeux de ma mère quand je la savais prise au piège. 

Jouer la même pièce à 10 ans d’intervalle, à quel point est-ce une autre histoire ?
L’histoire est la même, on a juste un peu plus d’outils pour la comprendre et un peu moins de résistance à la vivre pleinement. 

Quand on interprète un personnage comme celui de Shirley, que peut-on puiser dans sa propre vie et/ou de quoi doit-on se protéger ?
C’est le texte qui puise ce qu’il y a de disponible en nous pour le servir. Pour moi, c’est en travaillant le texte que surgissent les fondements du personnage, et ces fondements ne seront jamais rien de plus que ce que je serais capable d’être à ce moment-là de ma vie. Dans l’interprétation d’un personnage je ne dois donc me protéger de rien si ce n’est de la tentation de mentir sur qui je suis. 

Martine 

Qu’est-ce qui te touche, toi, Martine dans le personnage de Shirley ?
Shirley est un personnage qui me touche, parce qu’à un moment clef de sa vie, la cinquantaine, quand les enfants se sont envolés du nid, elle a le courage de quitter un mari qu’elle indiffère pour partir vraiment vers tout autre chose que ce qu’elle connait. Elle va prendre conscience et accepter que l’existence qu’elle mène ne la satisfait pas ou plus.
Ce qui est bouleversant, avec Shirley, c’est que cette femme qui a l’air fragile, trouve en elle une force inattendue pour agir. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle s’est toujours laissé faire par tout le monde, par son mari, ses amies, sa voisine, Shirley s’est toujours efforcée de contenter tout le monde et là, alors que personne ne s’attendait à ça d’elle et elle encore moins que les autres, elle trouve une force insoupçonnée pour donner un coup de pied au fond du puits pour redémarrer une vie dont elle n’aurait jamais pensé qu’elle lui était destinée.

Toi qui as aussi joué la fuite en avant en interprétant Margot dans Les fugueuses, fais-tu un parallèle entre les deux histoires, les deux personnages ? 
Les deux personnages de Shirley et de Margot n’ont pas le même âge ni tout à fait la même motivation, mais je les admire et je les trouve courageuses. Elles osent dire zut au monde qui les entoure et à ce que l’on attend d’elles. Elles osent ne plus penser au mari, aux autres, au qu’en-dira-t-on. Et c’est extrêmement courageux. Courageux, et je pense aussi que c’est très féminin d’oser donner un grand coup de pied dans la marmite.
À un moment, Shirley atteint son point de rupture, elle formalise qu’elle en a assez et c’est à ce point précis qu’elle décide de tout plaquer. Elle remplit une dernière fois le frigo de la maison, pour marquer le lien qui l’a unie à son époux, et elle plaque tout.
Et là, elle découvre un univers entier auquel elle ne s’attendait pas puisqu’un séjour prévu au départ pour deux semaines devient une nouvelle vie qui va l’épanouir au-delà de ce qu’elle croyait possible, et à laquelle elle ne s’attendait pas.
Dans Les fugueuses, au fond Margot fait la même chose, ou plutôt le contraire. Elle n’a jamais eu une vie rangée et son fils veut la coller dans une maison de retraite. Et elle, ce qu’elle quitte, c’est le fils et le projet trop raisonnable du fils. Mais, fondamentalement, ce sont deux femmes qui veulent décider elles-mêmes de leurs destinées, quoi qu’elles leur apportent, obstacles compris. 
Donc oui, elles ont quelque chose de commun. Même si l’une part, et l’autre fuit, le résultat est le même : elles veulent toutes les deux prendre leur destin en main et ne plus être sous la botte de quelqu’un qui décide pour elle.
Je trouve ça très beau et très courageux. Et féminin comme je l’ai déjà dit parce que je constate que dans les couples, les femmes sont capables de partir pour elle-même, pas parce qu’elles ont rencontré quelqu’un.

Que te reste-t-il de l’aventure Shirley ?
Un plaisir énorme. Travailler avec Marie-Hélène c’est du bonheur de la première à la dernière minute. C’est une femme délicieuse et intelligente qui a du talent, mais qui est bourrée de doutes et donc extrêmement sensible et exigeante avec elle-même.
Elle entre aussi parfaitement dans cette pièce qui est très british dans l’écriture. C’est un texte qui alterne humour et émotion. Les deux couleurs se côtoient sans arrêt et Marie-Hélène le fait à la perfection, elle perçoit cet humour en teintes fines. Qui plus est, elle est adorable et c’est une très grande actrice.

Le travail a-t-il été le même à la création et à la recréation ?
En fait, oui et non.
La pièce est la même, bien sûr. Elle raconte la même chose, mais Marie-Hélène et moi nous avons dix ans de vie en plus. Nous avons plus maturité, traversé plus de choses. Le deuxième travail a donc été beaucoup plus nourri que la première fois. Nos existences et nos expériences nous ont apporté de nombreuses choses qui ont encore enrichi son interprétation. 

Propos receuillis par Deborah Danblon
Photo © Gaétan Bergez

A VOIR : Shirley Valentine du 13.01 au 25.02.23