Si vous venez voir « Hélène » de Goethe, vous verrez peu de choses. Une table blanche rectangulaire, dix chaises blanches et deux chaises noires. Le tout éclairé par deux néons blancs et deux néons bleus. Un interrupteur sous la table éteint le tout. Deux murs de la pièce sont blancs. Le mur noir est un pendrillon. Le dernier mur est une double porte, noire elle aussi.

Les chaises blanches seront occupées par les spectateurs.

Les chaises noires par les interprètes.

Les interprètes sont deux. Ce sont des comédiennes. Elles sont belles. Elles sont jeunes. L’une joue la figure d’Hélène. L’autre joue le Chœur, la Phorkyade, Faust, Lyncée.

Elles jouent aussi des paysages, des voyages, des pensées - surtout des pensées, des bijoux, des trésors, des sommeils, des réveils, un évanouissement.

Une table ?

J’ai vu une photo de Gilles Deleuze, enseignant à Vincennes. Il est assis à un bout de table. Assis autour de lui des élèves. Et d’autres aussi, nombreux, debout tout autour de lui.

Un protagoniste, un Chœur. Ici, dans « Hélène » elles sont deux. Comme Deleuze quand il écrit avec Félix Guattari « L’Anti-Œdipe » et « Mille Plateaux ».

Cette photo m’a touché.

J’ai vu là un espace juste. Quelqu’un parle, les autres écoutent. Il est heureux de parler. Il pense à voix haute. Les autres écoutent. Ils pensent à voix basse.

J’ai su que c’était l’espace d’Hélène. J’ai pressenti que l’« Hélène » de Goethe n’était pas représentable. J’ai su qu’elle était présentable.

Goethe s’octroie toutes les libertés : d’abord écrire la première pièce sur Hélène (nous avons perdu celle d’Eschyle, de Sophocle et la pièce d’Euripide est un jeu sur le fantôme d’Hélène) ensuite dans cette même pièce écrire une Hélène avec Faust. Ecrire, jouer, deux fois sur trois mille ans.

Re-écriture.

Goethe écrit « Hélène » dans trois langues. Celle d’Eschyle, la sienne (allemand classique) et enfin celle, moderne pour lui, de Lord Byron.

À son exemple, j’ai convoqué les voix de Michèle Fabien, Marguerite Duras et Heiner Müller.

Pour en finir. En revenir à la table.
C’est une table de jeu.
C’est une table d’écoute.
Les interprètes joueront cartes sur table en tapant du poing s’il le faut.
Les interprètes feront table rase du passé.
Elles seront nouvelles.
Et anciennes, parce que justement nouvelles.
Les spectateurs seront nos hôtes.
Ce n’est pas un spectacle sur la beauté, sur l’amour, sur le pouvoir.
C’est un spectacle sur le jeu où l’on parlera de la beauté, de l’amour et du pouvoir.

 

Marc Liebens