Comment l’idée d’écrire sur la rumeur t’est-elle venue ?
Pour être honnête, l’idée vient de Michel (Kacenelenbogen). Il est venu me voir avec l’idée d’écrire quelque chose autour de la rumeur. Et comme le thème me tient beaucoup à cœur, je ne me suis pas fait prier et j’ai embrayé. Depuis longtemps, je me passionne pour les secrets, j’ai même pu m’obséder pour certains d’entre eux au point de passer des nuits à lire tout ce que je trouvais à leur sujet, c’est d’ailleurs un ressort dramatique qui est souvent présent dans les écrits. La rumeur est en quelque sorte l’antithèse du secret, ça m’intéressait donc d’autant plus de l’aborder.
En cherchant des idées, très vite l’idée d’une pandémie, orchestrée ou non par un individu s’est dégagée et même si nous jouons aujourd’hui, j’ai achevé l’écriture plus d’un an avant qu’on ne parle de l’épidémie du COVID 19.

Une fois que tu as le projet, comment procèdes-tu ?
Je commence par une longue période de documentation. Ici sur la rumeur, ses procédés, ses impacts, mais aussi plus précisément sur les énergies renouvelables et le fonctionnement des médias, qui sont les ressorts du récit.
Ensuite, je m’attaque aux personnages, je développe le rôle qu’ils vont avoir sur l’échiquier de l’histoire, mais je travaille aussi les antagonismes, ce qui les rapproche, ce qui les oppose.
Raconter une histoire c’est avant tout raconter une série de conflits, sinon, le spectateur s’ennuie.

Comment trouves-tu l’équilibre entre les ressorts dramatiques, l’efficacité dramaturgique et l’émotion qui nous attache aux personnages ?
Dans mon esprit, une histoire se raconte comme si on enlevait les couches d’un oignon. Petit à petit on creuse le récit. Dans Rumeur, il y a un suspens dans le fait que jusqu’au bout, on doute de tout. C’est le principe même de la rumeur.
Les personnages comme les secrets sont révélés comme des poupées russes.

As-tu de l’affection pour tes personnages ? As-tu besoin d’en avoir pour leur donner vie ?
Oui, c’est indispensable. J’ai besoin d’aimer même les plus odieux d’entre eux. J’ai besoin que même le plus horrible des êtres puisse être émouvant au moins sur une phrase. Il faut que même les plus terribles puissent être non pas excusés, mais aimés ne fut-ce qu’un instant ou qu’ils arrivent à nous toucher. Nous ne sommes pas tout noirs ou tout blancs. Les monstres ne m’intéressent pas. Ce qui m’intéresse est de trouver l’humanité dans chaque personnage.

Quand tu assistes à une représentation, t’arrive-t-il de découvrir des choses sur ton texte ?
Oui, toujours. J’aime bien ne pas faire partie du projet et après me laisser surprendre par la mise en scène et les acteurs. Quand j’assiste à une représentation, il y a des choses qui se révèlent à moi que je n’avais pas du tout prévues. C’est la puissance du théâtre : rendre les mots vivants. Les artistes vont chaque fois me surprendre par rapport à ce que j’ai écrit. Heureusement d’ailleurs, sinon ce ne serait pas passionnant et on fait ce métier par passion.

Les artistes vont chaque fois me surprendre par rapport à ce que j’ai écrit.Est-ce que ta vision de la rumeur a évolué au cours de tes recherches et de ton écriture ?
Hélas, j’ai encore mieux pris conscience du danger de la rumeur, de la facilité avec laquelle elle peut se propager et que, plus qu’on ne le croit, la rumeur peut tuer.
Les recherches que j’ai faites m’ont aussi appris à beaucoup mieux analyser les médias et les fake news. On y retrouve des procédés et des fonctionnements identiques. Il y a en quelque sorte un vade-mecum qui permet de décoder quand il s’agit d’une rumeur qui peut détruire quelqu’un et pourtant, on a beau être avertis, ça continue à se passer.

Le récréatif au service du didactique, serait-ce ta marque de fabrique ?
Je considère que la meilleure manière de sensibiliser les gens à un sujet est de le faire au travers de l’humour et d’un récit humain. Dans Rumeur en particulier, j’ai essayé de mettre beaucoup d’humour pour faire avaler la pilule, parce qu’elle est fameuse.

Es-tu différent depuis l’écriture de la pièce ?
Oui, j’ai changé. Même si j’ai toujours fait attention, je suis devenu beaucoup plus vigilant avant de partager une information. J’essaye de me poser systématiquement la question d’où elle vient, de quel est son but et de pourquoi j’ai envie de la transmettre.
Comme dit Socrate, avant de transmettre une information, faisons-la passer à travers trois filtres. Est-elle vraie, est-elle bonne, est-elle utile ?
Avant de parler, je m’efforce de me poser la question de savoir si ce que je vais dire va blesser. Parfois mieux vaut se taire.

Propos recueillis par Deborah Danblon.

A VOIR : Rumeur jusqu’au 31.12.2021
 



BIO RAPIDO
Né en 1972, Thierry Janssen est diplômé en art dramatique de l’I.A.D. Il joue régulièrement dans différents théâtres (Le Poche, Le Public, le ZUT, le Parc, les Galeries…). Il a mis en scène plusieurs spectacles, notamment Merlin le Fou et Le jour où je me suis rencontré… dont il est également l’auteur.

Auteur de vingt-trois pièces de théâtre, adptateur, doubleur, il collabore régulièrement à la mise en voix de texte en Audiolivres.

VU
Deux de ses pièces ont déjà été montées au Théâtre Le Public :
Facteur Humain, Lauréat 2005 (Prix du Jury Etranger) du Prix des metteurs en scène organisé par le Centre d’Ecriture Dramatique Wallonie-Bruxelles. Plusieurs lectures de ce texte ont été organisées en Europe notamment au Festival d’Avignon, au Taps de Strasbourg et à Sibiu, en Roumanie. La pièce, parue aux Editions Lansman, est aussi publiée en allemand et en roumain. La mise en scène du texte a été créée au Théâtre Le Public en 2009 par Guy Theunissen. La pièce a également été montée à Paris, à Strasbourg ainsi qu’à Bucarest.
Le 7ème Continent, mis en scène par Michel Kacenelenbogen (2014).

Sur scène, vous avez notamment pu le voir dans L’Ombre d’Evgueni Schwartz mis en scène par Jasmina Douieb (2010), Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce mis en scène par Michel Kacenelenbogen (2014) ou Arlequin, valet de deux maîtres de Goldoni (1997 et 2021).