Le corona a amené la pandémie, la pandémie a conduit au confinement, le confinement a fermé tous les lieux de débats.
Restos, théâtres, cafés, opéras, bars, festivals, amphithéâtres, places publiques… tous les lieux propices aux débats d’idées sont fermés. Tous ces endroits où l’on refait le monde, les yeux dans les yeux. Les lieux où l’on se confronte les uns aux autres, où l’on se crêpe le chignon au sujet de tout et de rien, les parenthèses du matin ou du soir, d’avant et après le boulot, où l’on avait l’habitude de se retrouver pour échanger sont fermés.
Y a plus de débats !
Il a été bâillonné avec nous.

Et aujourd’hui, la capitalisation des GAFAM a atteint 7.000 milliards de dollars. Les géants ont donc bondi de… 40% depuis le début de la pandémie.
Pas 0,4%. Pas 4%. 40% !
Ces sociétés profitent de la crise pour nous faire glisser d’un capitalisme industriel vers un capitalisme numérique. Ce capitalisme numérique est en train de standardiser nos relations : amicales, familiales, sociales… Ils disent eux-mêmes qu’ils ont ouvert la boîte de Pandore. Ils savent que ce "soft despotisme" est en train de s’étendre sur nos consciences. Glissant de la manipulation des consciences à l’orientation des consciences, pour finir au contrôle des consciences. Et tout cela avec notre consentement.
Il faut rouvrir d’urgence les lieux où nos idées se fécondent.
Car pendant que certains capitalisent, nos libertés sont en captivité. Nos consciences sont séquestrées. La vérité est escroquée. L’émotion et la créativité, confisquées. Toute activité artistique est kidnappée. Et les démocraties sont dépecées.

Le virus n’est pas la crise. Le corona est le symptôme d’une dévastation méthodique des vies et de la planète. Il faut s’attendre à d’autres épreuves. On ne peut pas laisser la responsabilité des solutions à quelques-uns. Avec nos altérités nous faisons tous partie de la solution.
Parce que pendant que nous restons enfermés, dans l’attente, isolés, nous nous affaiblissons. Nous affaiblissons nos défenses immunitaires ainsi que notre psychisme et notre moral. Or, nous allons avoir besoin de toutes les forces vives pour affronter les défis qui nous attendent (variants, climat, haines, dérives des pouvoirs mondiaux, transformations profondes…)

Nous obliger à rester chez nous nous fragilise au moment où nous avons besoin de toutes nos forces réunies et concertées.

Déjà les attentats ont obligé à prendre des mesures dont nous ne sommes pas encore sortis. Il faut faire évoluer des directives qui, au nom de la sécurité (sanitaire et autres), vont nous obliger à vivre dans une société paupérisée, inégalitaire, morne et triste.
Nous sommes d’accord, c’est immensément complexe. Comment, sans hypothéquer l’avenir, sans sacrifier des pans entiers de professions, sans sacrifier des millions de travailleurs, sans fermer les lieux de débats, sans kidnapper les expressions artistiques, sans fermer les endroits de régénérescence sociale… Comment protéger les plus vulnérables et notre système de santé ? Mais pour comprendre les enjeux, on a besoin d’autres ratios, d’autres avis, d’autres sons de cloche. Nous devons avoir accès à d’autres diagnostics, pour mettre en place des alternatives. Il nous faudra absolument envisager DES solutions. Aujourd’hui, nous nous sentons ligotés comme jamais à la simplification, au solutionisme. Il n’y a pas de solution unique à un problème complexe.

Il faut rouvrir (avec toutes les sécurités sanitaires) les lieux de rencontres, pour remettre de la vie, sortir de la peur qui rend docile, diminuer les violences, se démenotter des écrans, retrouver la joie de vivre. Car plus on attend, plus la réouverture à la vie sociale risque d’être d’une férocité inouïe : faillites, drames affectifs et psychologiques… les répercussions à long terme sont impossibles à anticiper. Nous ne pouvons plus vivre dans un présent qui hypothèque l’avenir. Combien d’années va-t-il falloir pour réparer ? Qui va devoir réparer ?

La santé ne va pas sans le bien-être. L’immunité est aussi affaire de bien-être. La culture et les artistes, le sport, la nourriture saine, les échanges intellectuels, mais aussi l’émancipation individuelle et l’épanouissement collectif, participent activement à l’immunité. La confrontation des avis, la maîtrise de nos destinées, la bienveillance, nous protègent de la peur, de l’assujettissement des consciences, et nous préparent aux changements et aux métamorphoses.

Nous devons vivre avec le Covid, protéger les plus vulnérables, construire autrement nos environnements et remettre en marche cette vie sociale, source de ressourcements.
Débattre, se divertir, ouvrir, et changer l’air, puisqu’on nous dit qu’il faut aérer.
Nous voulons changer d’air, en face à face, les yeux dans les yeux.
Le bien-être est essentiel à la santé.

Patricia Ide et Michel Kacenelenbogen
Co-directeurs du théâtre Le Public